Histoire de la fête des Mères. Non, Pétain ne l’a pas inventée ! – JAQUEMOND (APHG)

JAQUEMOND, Louis-Pascal. Histoire de la fête des Mères. Non, Pétain ne l’a pas inventée !. Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2019, 240p. Resenha de: CARNEIRO, François da Rocha. Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG). 7 jun. 2020. Disponível em: < https://www.aphg.fr/Histoire-de-la-fete-des-Meres-Non-Petain-ne-l-a-pas-inventee>Consultado em 11 jan. 2021.

Dans un ouvrage qui assume la très longue durée, Louis-Pascal Jacquemond en éminent spécialiste de l’histoire des femmes qu’il est, étudie cette journée si particulière qu’est la fête des Mères.

Remontant aux déesses-mères antiques, il souligne la double-assignation initiale attribuée à la divinité, caractérisée à la fois par la naturalité et le maternalisme. Envisagé par l’auteur comme étant « la plus ancienne religion du monde » (p.22), le culte de la Déesse-mère connaît de multiples visages dans toutes les civilisations anciennes. Dans les panthéons nordiques et germaniques, ce sont Freyja, chez les Vanes, et Frigg, chez les Ases, qui jouent ce rôle de divinité à la fois de l’amour et de la maternité, tandis que Dana chez les Celtes est « la mère primordiale des anciens elfes », célébrée elle aussi par une « fête de la nuit des Mères » (p.24). L’auteur voit dans l’identification de Marie à une Déesse-mère chez les premiers chrétiens comme le résultat d’un glissement homothétique, peut-être dans l’héritage du culte rendu à Cybèle, qui était pour les Romains la Mater magna. De fait, le culte marial s’impose dans le christianisme au point que s’installe, autour du XIIe siècle, l’appellation « Notre-Dame », à qui sont dédicacées de nombreuses églises de pèlerinage.

À l’époque moderne, en Angleterre et dans les colonies américaines, apparaît la tradition du Christian Mothering Sunday. Ce rituel oblige le fidèle à servir un dimanche de Carême dans sa paroisse de naissance. Une fois par an, l’église-mère réunit ainsi tous ses enfants et, par analogie, permet à la mère biologique d’être au centre des attention de sa progéniture qui doit alors lui offrir des fleurs et un gâteau. Cette tradition protestante s’implante jusqu’aux colonies américaines avant d’y tomber en désuétude. Il faut la mobilisation des féministes Julia Ward Howe (1819-1910), Juliet Calhoun Blakeley (1818-1920), Mary Towes Sasseen (1860-1906) et surtout Anna Jarvis (1864-1948) pour qu’une journée rendant hommage aux mères soit de nouveau instituée. Voté en 1913, le Mother’s Day fait immédiatement du deuxième dimanche de mai une fête nationale aux États-Unis.

Étrangère à cette culture protestante du monde anglophone, la France connaît sa propre voie. Le Code civil impose la vision familialiste, assignant à la femme les seules fonctions conjugale et maternelle. À l’autre bout du XIXe siècle, les hommes de la IIIe République défendent la cause démographique au non de la défense de la Nation. Parmi d’autres, l’Alliance nationale, que fonde Jacques Bertillon en 1896, défend ardemment cette ambition nataliste. Si les mouvements féministes qui apparaissent alors ne sont que rarement antinatalistes, ils n’en placent pas moins la maternité « au cœur de leur définition de la différence des sexes » (p.59). Quant aux anarcho-syndicalistes, beaucoup invitent au néo-malthusianisme « pour ne pas entretenir un capitalisme avide de bras bon marché » (p.60).

C’est dans le contexte nataliste de la IIIe République que prend place l’expérience d’Artas, où l’instituteur Prosper Roche, lui-même père de sept enfants, lance en 1906 la première fête des Mères de famille nombreuse, organisée par la très masculine Union fraternelle des pères de famille méritants qu’il a fondé en 1904. Le dimanche 10 juin 1906 donc, deux mères de famille artasiennes de neuf enfants sont mises à l’honneur. Les festivités empruntent au cérémonial républicain, avec défilé, réception à la Mairie, banquet de plus de 200 convives et remise de la somme de 25 francs à chacune des deux récompensées.

La Première guerre mondiale et les secours des Américains sont l’occasion de transférer sur le Vieux continent, dans les régions occupées du Nord de la France et en Belgique, la jeune tradition du Mother’s Day. L’arrivée des soldats américains diffuse encore plus largement ce rituel qui inspire jusqu’au nom la Journée des Mères donnée à Lyon du 14 au 16 juin 1918. Le dernier jour permet de féliciter douze femmes enceintes déjà mères d’au moins cinq enfants. En 1920, peu après la création du Conseil supérieur de la natalité, Theodore Steeg, ministre de l’Intérieur, autorise la « Journée nationale des mères de famille nombreuse ». Malgré la tenue de cette fête le 19 décembre 1920, « la fête des Mères n’a pas encore pris sa place dans le calendrier annuel » (p.82) et aucune journée nationale n’a lieu dans les années qui suivent, l’organisation relevant de l’échelon local.

Avec l’introduction de la démographie dans les programmes scolaires à partir de la fin des années 1920, une politique familiale se met en place, fondée sur le modèle traditionnel, autour de la Mère au foyer et de l’autorité du père qui ramène l’argent à la maison. Comme l’écrit l’auteur, « la petite musique du « Travail, Famille, Patrie » est déjà à l’œuvre » (p.84). La fête des Mères du régime de Vichy n’est donc que l’aboutissement d’un long processus. Dans cette liturgie pétainiste, la Mère mise à l’honneur devient l’icône de la Révolution nationale. Pourtant, comme le montre Louis-Pascal Jacquemond, les mouvements de Résistants, communistes en tête, se saisissent du décalage entre le discours du pouvoir en place et les souffrances du quotidien pour faire de cette fête un outil de mobilisation. Les tracts sont alors nombreux appelant les mères à rejoindre « l’armée des ombres ».

Après la Seconde guerre mondiale, la fête des Mères s’installe dans le cadre républicain et particulièrement à l’école. Néanmoins, cette pratique scolaire est de plus en plus remise en cause, tant elle implique de se calquer sur un idéal familial et maternel contesté. Cette fête connaît par ailleurs une marchandisation en même temps que la société goûte de plus en plus à une consommation effrénée. L’auteur distingue quatre temps de la « récupération mercantile » (p.136) de cette fête. Le premier XXe siècle voit la commercialisation massive des fleurs et des cartes de vœux, la mère se voyant au centre d’un intérêt qui n’est pas sans rappeler le désir amoureux masculin. À partir des années 1930, la promotion de l’électroménager domestique attribue à la mère une image de modernité technique. Les dernières décennies du XXe siècle et les cadeaux comme les parfums ou la lingerie érotisent sensiblement l’image de la mère. Enfin, au début du millénaire, cette fête semble s’appuyer sur les modes de communication actuels et « met en scène des femmes substituts » (p.143).

Critiquée dès l’entre-deux-guerres, la fête des Mères se retrouve dans la ligne de mire des féminismes des années 1970 comme des années 2000, ce qui pousse l’auteur à poser la question de son « obsolescence programmée » (p.167). Cependant, sa popularité n’est guère remise en cause et la Journée internationale des Femmes du 8 mars ne parvient guère à l’effacer du paysage.

L’auteur achève son étude par un rapide tour du monde des fêtes équivalentes, « chrétienne et nationale » en Amérique Latine, importée en Afrique et au Proche-Orient, acculturée dans les mondes asiatiques. Il conclut ainsi une réflexion riche et stimulante qui permet de déconstruire autant les stéréotypes genrés que les légendes urbaines.

François da Rocha Carneiro – Professeur d’histoire-géographie à Roubaix, Docteur en histoire contemporaine et chargé de cours à l’Université d’Artois, Vice-Président de l’APHG.

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