Le cinéma peut-il nous apprendre l’histoire de France? LBRIAND (Lc)

LBRIAND, Dominique. Le cinéma peut-il nous apprendre l’histoire de France ?, Canopé – CRDP Basse-Normandie, coll. « Ressources Formation », 2013, 234p. Resenha de: BESSON, Rémy. Dominique Briand, Le cinéma peut-il nous apprendre l’histoire de France ? Lectures, 25 fev. 2014.

Publié dans la collection « Ressources Formation » (Scérén-CRDP), Le cinéma peut-il nous apprendre l’histoire de France ? aborde des questions relatives aux usages sociaux des films en plaçant au centre de l’analyse les perceptions du passé partagées par les élèves. Pragmatique, Dominique Briand, professeur d’histoire à l’IUFM de Basse Normandie développe une analyse qui se situe à l’articulation entre une approche relevant du domaine de l’histoire par les films et une initiation à l’éducation aux images. Pour cela, il part du constat que les enfants et les adolescents évoluent quotidiennement dans un environnement médiatique diversifié (internet, télévision, cinéma, presse écrite, etc.). Il remarque que la place exercée par les films historiques est certainement supérieure pour eux, à celle de l’enseignement de l’histoire. Ainsi, le récit transmis à l’école est-il devenu second, depuis maintenant de nombreuses années. Selon l’auteur, il permet simplement d’amender, d’encadrer et de compléter une conception déjà établie par ailleurs. Des propositions méthodologiques afin de répondre aux défis posés aux enseignants par ce constat sont formulées tout au long du texte. En s’appuyant sur de nombreuses études de cas, portant principalement sur l’histoire des conflits du vingtième siècle (guerres mondiales et coloniales, entre autres), l’ouvrage cherche donc à déterminer comment le cinéma participe à la fixation de la mémoire collective/culturelle et en quoi il a conduit à une remise en cause du « roman national » transmis par les instituteurs de la Troisième République.

Si ce présupposé de départ est particulièrement intéressant, l’idée principale du livre – bien que reposant sur deux néologismes – est, elle, très classique. Selon l’auteur, la prise d’importance des représentations cinématographiques de l’histoire a conduit à des mésinterprétations du passé qui sont le ferment d’une confusion entre fait et fiction : la faction (pour reprendre le terme d’Antony Beevor, cité p. 36). À cela, il est possible d’opposer de manière presque positiviste une fréquentation encadrée de la fiction, c’est-à-dire réflexive et critique, la fréqtion (vocable proposé par l’auteur). Une telle conception du rôle de l’enseignant repose sur l’idée que les films véhiculent des représentations dangereuses, dont l’école doit préserver l’élève. La salle de classe est alors conçue comme un sanctuaire, un lieu de résistance, face à une prolifération incontrôlée de mésusages des images dans l’espace public (p. 38). Le professeur se trouve ainsi placé dans la position de l’évaluateur qui détermine si le film est assez « authentique » pour figurer dans le cadre d’un enseignement scolaire. Par exemple, Marie-Antoinette (Sofia Copolla, 2006) est retoqué, car il propose une vision du passé non fidèle à l’état des connaissances sur le sujet (p. 91).

Ces axes méthodologiques reposent sur une conception datée du rôle de l’historien face aux images. Pris dans cette perspective, celui-ci est avant tout un ardent rhéteur d’une récit « vrai », qui doit, à ce titre, s’opposer aux déformations induites par les choix visuels et scénaristiques des professionnels du cinéma. Le fait que l’histoire soit aussi une représentation du passé constitue une dimension qui n’est considérée qu’à la marge1. Cela s’explique, en partie, par le fait que la principale référence mobilisée dans la courte sous-partie introductive, « les historiens et l’histoire de France à l’écran » (p. 23-25), est Marc Ferro. Si cela conduit Briand à considérer les films comme des vecteurs de mémoire producteurs d’une contre-analyse de la société2, cela le mène aussi à manquer les développements méthodologiques postérieurs liés aux travaux de nombreux autres chercheurs (histoire culturelle du cinéma, réflexions sur les rapports entre récit historien et filmique, etc.3). Par exemple, l’auteur mobilise à plusieurs reprises4, l’idée selon laquelle un film porte autant sur la période contemporaine de sa réalisation, que sur celle qu’il représente, alors que ce point fait l’objet d’un consensus depuis le milieu des années 19705.

Cependant, critiquer cet ouvrage au seul regard d’un manque de prise en compte de l’historiographie contemporaine, revient à manquer son intérêt principal. En effet, dès qu’il abandonne une position de retrait et de surplomb, Briand propose de multiples clefs méthodologiques passionnantes pour les enseignants en histoire. Il teste alors ce qu’il identifie comme étant des potentiels didactiques du cinéma. Ainsi, si l’écriture de l’histoire par les chercheurs n’a pas été systématiquement mise en regard des modes de narration des films, cette comparaison est menée de manière particulière habile entre les films et les cours d’histoire. Les productions culturelles étudiées sont alors tour à tour considérées comme des documents permettant un accès au passé et comme des représentations complexes dont il s’agit d’avoir une approche sensible. Dans tous les cas, très attentif à la forme filmique donnée aux faits passés dans les films, l’auteur évite le piège qui consiste à critiquer les réalisateurs à l’aune de la méthodologie historienne. Il répète ainsi à plusieurs reprises que les cinéastes ne sont pas contraints par les normes en usage au sein de l’académie.

Passionné par les nombreuses productions qu’il analyse, il propose très rapidement de dépasser le seul face à face entre l’élève et le film. Il insiste sur la nécessite de prendre en compte l’amont (les conditions de production) et l’aval (leur réception) avec une égale rigueur. Il explique que pour comprendre comment un film a transformé la perception du passé d’une génération de Français, l’état de leurs connaissances sur le sujet abordé est à préciser. Ainsi, le film n’est pas seulement à considérer pour sa valeur artistique, mais aussi pour l’effet qu’il a pu avoir dans l’espace public. Prenant, l’exemple de La Marseillaise (Jean Renoir), il analyse finement les différences entre la réception du film en 1938 et la façon dont il est possible de le voir aujourd’hui (p. 88). De plus, dans l’un des chapitres les plus réussis du livre, Briand s’intéresse aux débats et polémiques provoqués par certains films. Il s’attarde alors particulièrement sur les aspects non consensuels de l’histoire de France et notamment sur la guerre d’Algérie (à travers le cas du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, 2010). Il saisit parfaitement que le cinéma ne se limite pas à l’espace de la salle obscure et que son rôle social se joue tout autant dans ce qui en est dit a posteriori. Sans effectuer de remontée en généralité abusive, il s’attèle aussi à décrire en quoi l’étude des films permet d’initier les élèves à une histoire des représentations attentives aux différences et aux complémentarités entre histoire et mémoire. Il fait ainsi des films en général et de ceux de Bertrand Tavernier en particulier (Un dimanche à la campagneLa Princesse de MontpensierCapitaine Conan et La Vie et rien d’autre, notamment), des objets exemplaires pour une réflexion sur la fabrique du passé.

Cet ouvrage est donc traversé par une tension entre une éducation aux images principalement développée sur un mode critique (parfois un peu caricatural) et une série d’analyses précises portant sur des films qui sont considérés comme utiles pour enseigner l’histoire. Cette distinction ne recoupe pas pour Briand l’opposition classique entre films d’art et d’essai (souvent survalorisés pour leurs qualités formelles) et films populaires (disqualifiés sur des critères purement esthétiques). Au contraire, en culturaliste accomplit, l’auteur choisit de faire porter ses analyses aussi bien sur des films désignés comme étant des « nanars », que sur des œuvres considérées comme appartenant au panthéon du 7ème art. Cette tension repose, en fait plus, sur le maintien d’une différence entre histoire par les images et histoire des images. Ce choix de l’auteur explique certaines des réserves exprimées précédemment. En effet, il s’avère que depuis une quinzaine d’années une histoire utilisant des sources visuelles comme documents ne peut plus se passer d’une étude précise des conditions de production et de diffusion de celles-ci. Les productions audiovisuelles ne sont plus actuellement considérées simplement comme des sources donnant un accès direct à quelque chose de l’ordre du passé, mais comme des formes polysémiques dont il est toujours nécessaire de mesurer la complexité6. Ce n’est qu’une fois ce travail fait sur les images comme objets, que dans un second temps, elles deviennent des documents pour une histoire portant sur autre chose. Il n’y a donc plus de distinction entre les deux approches. L’absence de prise en compte de cette réconciliation entre histoire des et par les images est peut-être ce qui empêche cet essai d’histoire avec le cinéma d’être pleinement concluant. Ces limites ayant été exprimées, il reste à inviter tous les passionnés d’histoire et de cinéma, les enseignants et les étudiants, à se précipiter sur les analyses et les tableaux de synthèse proposés dans cet ouvrage, car ils constituent des matériaux particulièrement riches pour tous ceux qui œuvrent à faire entrer le cinéma dans l’enseignement de l’histoire.

Notes

1 Cf. Antoine de Baecque et et Christian Delage (dir.), De l’histoire au cinéma, Paris et Bruxelles, Complexe, 1998.

2 Cf. Marc Ferro, « Le film, une contre-analyse de la société », Annales ESC, 1973, vol. 28, n°1, p. 109-124.

3 Cf. Pascal Dupuy, « Histoire et cinéma. Du cinéma à l’histoire », L’homme et la société, 2001/4, n°142, p. 91-107 ou Philippe Poirrier, « Le cinéma : de la source à l’objet culturel », dans Les enjeux de l’histoire culturelle, Seuil, 2004.

4 Notamment, p. 85 à travers l’exemple du film Danton (Andrzej Wajda, 1983) et des films de Gustage Kerven et Benoît Delépine (p. 142-143).

5 Pierre Sorlin, « Clio à l’écran, ou l’historien dans le noir », Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril-juin 1974, p. 252-278.

6 Cette manière de faire s’inscrit plus largement dans un tournant historiographique qui concerne l’ensemble des productions culturelles.

Rémy Besson

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