Astronomia das constelações humanas. Reflexões sobre Claude Lévi-Strauss e a história – IEGELSKI (AHSS)

IEGELSKI Francini Claudio Lévi-Strauss
Francine Iegelski/Divulgação UFF

IEGELSKI F Astronomia das constelações humanas Claudio Lévi-StraussIEGELSKI, Francine. Astronomia das constelações humanas. Reflexões sobre Claude Lévi-Strauss e a história. São Paulo: Humanitas, 2016, 422 p. Resenha de: BRANDI, Felipe. Annales.  Annales. Histoire, sciences sociales, v.2, p.450-452 2019. Acessar publicação original.

En 1949, Claude Lévi-Strauss publiait, dans un numéro de la Revue de métaphysique et de morale consacré aux « Problèmes de l’histoire », l’article « Histoire et ethnologie », devenu dix ans plus tard la célèbre introduction d’Anthropologie structurale 1. Les deux disciplines qui donnent son titre à l’article y sont montrées comme un Janus bifrons : deux sciences soeurs, solidaires, mais investies de missions opposées. Alors que l’histoire s’en tiendrait au domaine du particulier et à l’étude des expressions conscientes de la vie sociale, l’ethnologie paraît atteindre un degré plus élevé d’abstraction àmême d’explorer les « possibilités inconscientes » et d’opérer le passage à l’universel. Les historiens ont vite compris que leur discipline se trouvait menacée d’être reléguée aux tâches subalternes d’une science de second rang : la collecte consciencieuse des matériaux empiriques dont il reviendrait à d’autres d’opérer la synthèse. Méfiants, ils sentaient que l’anthropologue n’avait insisté sur la complémentarité des deux disciplines que pour mieux les hiérarchiser. Conquérante et forte de ses attraits, la jeune ethnologiemontrait qu’elle s’apprêtait à détrôner son aînée. Depuis lors, le thèmede l’histoire dans la pensée de Lévi-Strauss a suscité l’un des grands débats qui, en France et ailleurs, ont marqué les sciences de l’homme du second XXe siècle – un débat que nous aurions tort d’imaginer dépassé. Le livre de l’historienne brésilienne Francine Iegelski en témoigne. Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de São Paulo en 2012, le volume, préfacé par François Hartog et enrichi d’une présentation de Sara Albieri, fraye son chemin au milieu d’une vaste littérature par l’originalité d’une démarche qui allie histoire des idées et réflexion théorique, afin de montrer que les questions posées par Lévi-Strauss à l’histoire peuvent encore nous guider parmi les interrogations actuelles de l’historiographie.

L’ouvrage d’Iegelski présente un triple intérêt. Tout d’abord, il se centre sur les écrits de Lévi-Strauss et montre que celui-ci a enrichi l’histoire, suivant lemêmemouvement par lequel il en a fait une espèce de contrepoint à son projet d’anthropologie sociale. Ensuite, ce travail se lance dans une histoire intellectuelle qui retrace les débats et les controverses ayant jalonné la réception historienne des idées de Lévi-Strauss, depuis l’article de Fernand Braudel sur la longue durée jusqu’aux écrits d’Hartog. Enfin, il change à nouveau de peau et s’engage dans une réflexion, plus théorique, sur les « expériences du temps ». Ce livre est en effet celui d’une historienne de métier, dont le but est de réfléchir sur l’histoire.

On lit avec profit les chapitres qui déclinent les significations diverses dont l’histoire apparaît investie au sein de l’oeuvre de Lévi-Strauss : elle désigne tantôt les expériences vécues des sociétés (le « champ événementiel », si l’on veut), tantôt l’attitude subjective que les différentes sociétés adoptent face au devenir, tantôt un savoir constitué au sein des sociétésmodernes, que ce soit sous la forme de l’histoire qu’écrivent les historiens ou d’un grand récit aux mains des philosophes et des idéologues. Des thèmes bien connus sont utilement revisités : les rapports entre histoire et ethnologie, le problème des discontinuités culturelles, celui de la contingence irréductible de l’événement et, finalement, la mise à nu des rapports entre mythe et histoire. Le mérite essentiel de cette traversée repose sur la gerbe d’informations moissonnées et sur un effort de décryptage d’autant plus estimable que la matière est spécialement compliquée. Au fil de ce parcours, le thème de l’histoire se diffracte au sein des écrits de Lévi-Strauss, tout en restant une constante.

Si l’analyse de l’oeuvre occupe la plus grande part du livre, l’originalité de l’initiative d’Iegelski est de ne pas s’y arrêter. L’autrice couronne son étude par l’histoire du retentissement des idées de Lévi-Strauss chez les historiens, au fil d’un récit truffé d’aperçus nouveaux. Elle propose une lecture intéressante du discours de Lévi-Strauss à l’occasion de la 5e Conférence Marc Bloch, que les Annales publient en 1983 sous le titre « Histoire et ethnologie », comme un écho à son article de 1949 qui ne fait qu’accuser l’écart entre leur conjoncture polémique respective. Cette dernière contribution de Lévi-Strauss dans les Annales atteste que le rapport entre les deux disciplines s’était radicalement transforméentre-temps ; en témoigne aussi, dans le même numéro, un autre article, cette fois signé Hartog, sur l’anthropologie de l’histoire où apparaît pour la première fois, sous une forme encore embryonnaire, la notion de « régimes d’historicité 2 ».

Un quart de siècle après que Braudel a proposé la longue durée comme une réponse à l’avancée de l’anthropologie structurale, Hartog lit Marshall Sahlins et envisage qu’un nouvel échange entre historiens et anthropologues soit désormais placé au niveau de l’événement, et non des « structures », mettant ainsi à l’épreuve l’idéequelerefusduchangement serait l’attitude prédominante des sociétés traditionnelles, supposées « froides », face à l’histoire. La rencontre de ces deux articles de Lévi-Strauss et d’Hartog est explorée par l’autrice comme une coïncidence pleine de sens, qui marque le moment où une conjoncture intellectuelle s’achève afin qu’une autre commence. En amont, l’étude des sociétés dépourvues d’écriture (donc sans archives ni histoire) s’opposait aux recherches consacrées aux sociétés engagées dans le devenir ; en aval, la manière dont les sociétés conçoivent leur inscription dans l’histoire devient un champ problématique commun, partagé par les spécialistes des deux disciplines.

D’une étude sur l’histoire chez Lévi-Strauss, l’ouvrage se transmue ainsi en une histoire intellectuelle de la réception historienne de ses écrits, avant de se convertir en un essai sur la genèse de la réflexion sur les « expériences du temps » dans le travail d’Hartog. Les pages finales sont particulièrement novatrices, dédiées à l’influence des écrits de Lévi-Strauss sur le tournant réflexif de l’historiographie des années 1980 et sur l’avènement de cet outil d’investigation historique du temps qu’est la notion de « régimes d’historicité ». L’enjeu touche ici à l’actualité qu’acquiert au sein du travail d’Hartog la réflexion de Lévi-Strauss sur l’histoire. Après avoir remis en question l’idéal de progrès, Lévi-Strauss fut aussi l’un des savants à avoir reconnu les signes avant-coureurs d’un bouleversement des rapports au temps qui allait toucher les sociétés modernes en cette fin de siècle.

En 1993, Lévi-Strauss revient sur le binôme sociétés froides/sociétés chaudes qu’il avait autrefois proposé et signale que les « états » auxquels correspondent ces deux catégories ne sont pas figés, mais eux-mêmes soumis au devenir historique.

Il constate alors une double évolution, symétriquement opposée, qui atteint autant les sociétés traditionnelles (froides) que les sociétés modernes (chaudes) lors du dernier quart du XXe siècle : les premières, s’insurgeant contre le pouvoir des anciens colonisateurs, s’engagent dans l’histoire et « se réchauffent », tandis que les secondes suivent un mouvement inverse de « refroidissement », né de leur effort pour neutraliser les effets du temps et résister au devenir. Signe d’une perte de confiance dans l’avenir provoquée par les expériences traumatiques du XXe siècle (guerres, explosion démographique, ravages de la civilisation industrielle), ce processus de refroidissement au sein des sociétés chaudes recoupe, selon l’autrice, ce qu’Hartog appelle le basculement du « régime moderne d’historicité » vers le « présentisme ». Visiblement, les deux diagnostics convergent et se recouvrent. Pour Iegelski, ce refroidissement dont parle Lévi-Strauss est une expression de la fermeture du futur et de la montée d’un présent omniprésent qui caractérisent le moment « présentiste ». Dans sa préface, Hartog accepte volontiers ce rapprochement, mais se demande si l’on ne peut voir dans le présentisme un « hyper-réchauffement », où l’accélération est telle que le devenir se consume aussitôt, jusqu’à ne laisser de place qu’à un présent perpétuel.

De nouvelles perspectives de recherche s’ouvrent ainsi aux spécialistes de l’historiographie. Elles témoignent de la fécondité des réflexions actuelles sur la conscience historique des sociétés et leur rapport au temps 3. Dans une étude sur l’histoire chez Lévi-Strauss, on peut certes regretter que l’autrice effleure seulement le thème des théories diffusionnistes, lequel recèle une piste importante pour comprendre comment les analyses des mythes chez l’anthropologue se situent face à un débat relatif aux processus d’acculturation précolombiens ainsi qu’aux guerres et aux migrations qui ont tantôt rapproché, tantôt séparé les hautes civilisations et les cultures de la forêt et de la savane. On eût aimé qu’Iegelski posât le problème des organisations dualistes en tant que traces de l’histoire perdue d’un ancien syncrétisme, des contacts et d’un vieux fonds culturel commun d’où seraient dérivées les cultures des hautes et des basses terres. L’obscurité enveloppant le passé américain a représenté, sans conteste, un redoutable obstacle qui n’a pas été sans déterminer très tôt les positions adoptées parLévi-Strauss à l’égard de l’histoire. Ces remarques n’enlèvent pourtant rien à la portée d’une étude qui se lance dans une lecture résolument historienne de la pensée vivante de Lévi-Strauss, en convoquant ses différentes réflexions sur l’histoire, en vue de mieux s’armer pour répondre aux défis historiographiques qui sont aujourd’hui les nôtres.

Felipe Brandi. E-mail: [email protected] AHSS, 74-2, 10.1017/ahss.2020.20.

Notas

1- Claude LÉVI-STRAUSS, « Histoire et ethnologie », in Anthropologie structurale, Paris, Plon, [1949] 1958, p. 3-33.

2 – Id., « Histoire et ethnologie », et François HARTOG, «Marshall Sahlins et l’anthropologie de l’histoire », Annales ESC, 38-6, 1983, respectivement p. 1217-1231 et p. 1256-1263 ; François HARTOG, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003.

3 -Dossier « L’anthropologie face au temps », Annales HSS, 65-4, 2010, p. 873-996.