La transmission de l’histoire – MESSMER (CC)

MESSMER, Kur. La transmission de l’histoire. Irène Hermann ; Jonas Römer (Hg.), vol. 32, 2/2004, pp. 130-138. Resenha de: BUGNARD, Pierre-Philippe. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.4, p.300-303, 2004.

Dans la dernière livraison de Traverse consacrée à la transmission de l’histoire (voir la table des matières ci-dessous), Kurt Messmer, didacticien de l’histoire au « Pädagogisches Zentrum » de Lucerne, propose une très intéressante réflexion sur ce qu’il appelle un Röstigraben de la didactique de l’histoire… qui n’aurait en fait aucune raison d’exister.

Je résume d’abord l’article de façon très libre. La Suisse alémanique compte essentiellement sur son grand frère du nord, non seulement pour ses manuels d’histoire du secondaire II mais aussi pour ses quatre revues de didactique de l’histoire. Le problème c’est que dans les revues allemandes, en ce qui concerne l’histoire helvétique, il n’est fait allusion qu’à des questions secondaires. Dès lors, la seule révolution libérale qui n’est pas traitée dans les cahiers spéciaux de l’année anniversaire 1998 par exemple, c’est celle de l’Etat fédéral de 1848 ! La faute en incombe aux historiens et didacticiens suisses, tant de la partie alémanique que de la partie latine. Car il existe bien un Röstigraben de la didactique de l’histoire. L’exemple le plus flagrant est celui du canton de Fribourg qui cultive deux concepts, un pour chacune de ses parties linguistiques, la partie alémanique travaillant de concert avec les six cantons du Sonderbund emmenés par Lucerne, césure qui justement remonte, encore une fois, à 1848 (1845). Pourtant, de chaque côté de la Sarine, par-dessus ce fossé, on reste uni. La Suisse des enseignants d’histoire est bien coupée en deux, sans compter une sorte de Chiantigraben avec la Suisse italophone ! Or depuis bientôt trente ans se tiennent autour d’un Bodenseekreis des Journées de didactique de l’histoire avec une orientation internationale mais suivies presque exclusivement par des participants en provenance des régions d’expression allemande de l’Europe. Et si l’on sonde la production courante de didactique de l’histoire en Allemagne, on s’apercevra que les travaux issus de la sphère d’expression française y sont ignorés. Kurt Messmer ne cherche en aucune manière à jeter la pierre aux autres et se remet aussi en question. Il voit cependant un nouvel exemple de l’érection de la frontière des langues en barrière dans la création du Cartable de Clio, traduit en un joli « Der Schulsack der Frau Clio », revue au sein de laquelle pratiquement tout est axé sur des contributions en français ou traduites de l’italien.

Au sein du relativement mauvais classement de la Suisse dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté en comparaison internationale, les régions française et italienne fournissent de meilleurs scores que la partie allemande, et la vente des premiers tomes du DHS marche mieux en Suisse romande qu’en Suisse allemande. Qui s’étonnera dès lors qu’une revue comme Le Cartable de Clio démarre en Romandie? La revue est animée par un bureau de quatre historiens didacticiens et elle bénéficie d’un réseau international de correspondants mais dont aucun ne provient des mondes germanique ou anglo-saxon.

Et ce qui frappe particulièrement Kurt Messmer, c’est l’appel de la revue aux historiens universitaires pour qu’ils se préoccupent des usages publics de l’histoire et de la transmission de la discipline, notamment dans l’enseignement, sachant que s’il y a une nouvelle éducation et une nouvelle histoire, une nouvelle didactique de l’histoire peine à émerger. Justement, bien des historiens se sentent plus que jamais sollicités pour descendre de la tour d’ivoire des recherches savantes et apporter leur contribution à la compréhension du passé jusque dans la société, rappelle Messmer. Les sciences historiques ne se dénigreraient nullement en poursuivant une telle finalité. Ce serait plutôt une occasion de démontrer leur efficacité, en toute indépendance.

Suit la présentation des sept rubriques de la revue, ainsi que de l’approche compréhensive et structurelle en neuf propositions affichées dans le numéro 1, une approche jugée en phase avec celle préconisée également dans l’espace allemand, approche que revendiquait d’ailleurs déjà le didacticien allemand Ebeling… en 1965 (pour le primaire?) ! Dans le monde germanique, on parle maintenant de deux compétences clés. Celle de la reconstruction: à partir des matériaux bruts et en usant de méthodes de travail spécifiques à l’histoire, les élèves peuvent se mettre à donner sens à une histoire qu’ils construisent en autonomie. Inversement, par une déconstruction à partir d’une histoire rationnelle, les élèves peuvent développer leur capacité à l’analyse, une capacité à la déconstruction d’autant plus précieuse que, une fois leur cursus scolaire achevé, ils n’auront plus d’autre alternative que d’être confrontés à une histoire « finie ». La rédaction du Cartable de Clio a donc opté, poursuit Messmer, pour une approche recouvrant les deux conceptions. Ainsi, permettre aux élèves d’entrer dans les grandes questions à différents niveaux, selon la formulation du Cartable de Clio, recoupe tout à fait les préoccupations du projet international de recherche FUER Geschichtsbewusstsein (Förderung und Entwicklung von reflektiertem und -selbst-reflexivem Geschichtsbewusstsein).

Et Kurt Messmer de se réjouir que les principes affichés par Le cartable soient ensuite réellement transposés. En particulier dans la livraison de 2002 avec cinq contributions jugées « stimulantes », dont un exemple particulièrement « convaincant » pour l’approche de déconstruction, en ce sens qu’il fournit aux élèves les versions contrastées en provenance des sept collections suisses de manuels d’histoire (donc y compris alémaniques) sur la question des relations de la Suisse avec le IIIe Reich durant le Second conflit mondial. Mais la formule d’une nouvelle histoire enseignée n’est-elle pas dépassée? Certains historiens sont devenus prudents avec l’acception « nouvelle » qu’ils associent au mouvement de 68 (en fait, la nouvelle histoire, pour l’école française, remonte au moins aux années 1940). Messmer présente alors les caractéristiques d’une histoire enseignée plus concrète et plus globale, à l’occasion d’un tournant sans doute moins marquant que celui des années 1970 mais qui se laisse maîtriser. « Chapeau » au Cartable de Clio, conclut Kurt Messmer, qui constate que les questions de didactique se posent finalement de la même manière de chaque côté du Röstigraben et qu’en fait les Suisses latine et alémanique poursuivent des buts analogues. Et de lancer en français un appel à la coopération du Léman au Bodensee et de Bâle à Lugano! L’article mérite un prolongement.

L’analyse de Kurt Messmer réjouira les enseignants romands et tessinois. L’hommage qu’il rend au Cartable en montrant que l’initiative d’une revue de didactique de l’histoire en Suisse revient aux Latins sera apprécié à sa juste valeur. Nous nous rendons compte à notre tour combien nous fonctionnons, à notre façon, de la même manière… sans le savoir. La Romandie aussi est tournée vers son grand frère (de l’ouest) qui lui fournit pour le secondaire II les manuels qu’elle ne produit pas et qui lui propose les revues de didactique de l’histoire qu’elle ne… rédigeait pas, tout comme l’Allemagne pour la Suisse alémanique. A cela près que la France ne produit qu’une seule revue de didactique de l’histoire (celle, prolixe, de la puissante association des professeurs d’Histoire-Géographie, mais qui est plutôt une revue d’histoire tout court), si l’on fait exception des nombreuses publications spécifiques des centres de recherche en didactique rattachés aux IUFM ou à l’INRP. Et il en va de même pour la Suisse italienne.

En ce qui concerne le Bodenseekreis également, les didacticiens de la Suisse française participent aux Journées d’histoire de Blois (où Le cartable de Clio tient un stand et un forum), ainsi qu’aux Journées françaises des didactiques de l’Histoire-Géograhie. Des terreaux précieux pour la réflexion disciplinaire ou didactique, journées auxquelles les participants affluent quasi exclusivement de la francophonie.

En fait, si le Cartable a lancé l’idée d’une nouvelle didactique de l’histoire, c’est bien parce qu’à l’origine, la revue dépendant d’un groupe d’étude des didactiques de l’histoire affilié au WBZ/CPS de Lucerne, donc centré sur le secondaire II, il apparaissait assez clairement que dans les établissements préparant à la maturité, la didactique avait relativement moins renouvelé les pratiques qu’aux autres niveaux d’enseignement.

Finalement, les premiers contacts noués avec le groupe alémanique de didactique de l’histoire du WBZ, en particulier avec sa présidente actuelle, Christiane Derrer de Zurich, les articles consacrés par le Cartable aux manuels alémaniques, comme l’a souligné Kurt Messmer, au lancement du concours suisse d’histoire « Historia» ou à l’enseignement comparé entre gymnase hessois et lycée français, montrent un Röstigraben dépassé en ce qui concerne les points de vue entre régions culturelles. Pour autant, cela signifie-t-il que les cultures d’enseignement de l’histoire fonctionnent à l’identique? Pour en savoir plus, il faudrait répondre à l’appel de coopération lancé par Kurt Messmer, ouvrir Le cartable de Clio, et aussi peut-être « ein alemannischen Schulsack der Frau Clio », aux contributions des pays anglo-saxons. Avec le risque de produire une revue dont l’ancrage régional ne constituerait plus un caractère, voire une richesse.

Pierre-Philippe Bugnard – Universités de Fribourg et Neuchâtel.

Traverse, table du volume 32

Schwerpunkt

Roger Sablonier: Schweizergeschichte: ein Sonderfall?

Charles Heimberg: Comment communiquer l’histoire, la transmettre et la faire construire à l’école?

Interview mit Heinz Horat (von Jonas Römer): Vermittlung durch Inszenierung. Das historische Museum als «Depot » und Schauspieler als «Lagerführer »

Jeanne Pont, Irène Herrmann, Jonas Römer: Quand l’histoire s’expose. Transmission et mise en scène du passé dans les musées d’arts et d’histoire genevois

Evgenija Kolomenskaja: Russie: Un présent aux passés pluriels

Irène Herrmann: L’histoire entre Eltsine et Poutine. La vision du passé dans le discours politique russe

Boriana Panayotova: Les limites des transformations possibles au récit scolaire d’histoire nationale en Bulgarie

Frédéric Demers: Fiction sérielle et conscience historique dans le Québec d’aujourd’hui

Gerald Munier: Geschichte im Comic. Können ernsthafte historische Themen auch in Form von Bildergeschichten behandelt werden?

Debatte:

Peter Kamber: Hitler als «Charismatiker »? «Zweiter Dreissigjähriger Krieg? » Zur Kritik an Hans Ulrich Wehlers «Deutscher Gesellschaftsgeschichte »

Kurt Messmer:  Der geschichtsdidaktische Röstigraben. Anmerkungen aus der Deutschschweiz zur Westschweizer Revue «Le cartable de Clio »

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