Enseignement de l’histoire et mythologie nationale. Allemagne-France du début du XXe siècle aux années 1950 – BAUVOIS-CAUCHEPIN (HE)

BAUVOIS-CAUCHEPIN, Jeannie. Enseignement de l’histoire et mythologie nationale. Allemagne-France du début du XXe siècle aux années 1950. Berne: Peter Lang, 2002. 340p. – « L’Europe et les Europes, XIXe et XXe siècles ». Resenha de: BRUTER, Annie. Histoire de l’Education, v.105, p.105-106, 2005.

Cet ouvrage, issu d’une thèse soutenue en 1995, propose une comparaison de l’histoire enseignée en France et en Allemagne dans la première moitié du XXe siècle (période entendue au sens large : des années 1880 aux années 1950), à partir d’un corpus de textes officiels (malheureusement parfois connus à travers des sources secondaires, d’où des erreurs plus ou moins importantes)1, de journaux professionnels où s’exprimaient les enseignants d’histoire, et de manuels français (au nombre de 59) et allemands (au nombre de 61), pour la plupart destinés à l’enseignement secondaire (88 sur 120). Comme l’indique le titre, cette comparaison s’inscrit dans le cadre d’une étude des mythologies nationales : la « littérature scolaire » est considérée comme « un poste d’observation privilégié des édifications mémorielles », qu’elle « métamorphose en mythe, intrinsèquement durable et collectif » (p. 17).

C’est le chapitre III de l’ouvrage, le plus long, qui correspond proprement à ce projet, les deux chapitres précédents constituant une sorte de « construction de l’objet » qui envisage tour à tour, pour chaque pays, le rapport entre histoire des historiens et histoire enseignée, l’histoire de la pédagogie de l’histoire et les caractères généraux de son enseignement, tandis qu’une section à la fin du chapitre I résume les tentatives franco-allemandes de discussion des manuels. Disons tout de suite que ces deux premiers chapitres posent, au moins pour ce qui est de l’enseignement historique français, le problème de la date de parution d’un travail déjà ancien. On comprend que Jeannie Bauvois-Cauchepin, à l’époque où elle a écrit sa thèse, n’ait pu tirer parti de recherches touchant de près son sujet, mais qui n’ont été publiées que plus tard2 (ce qui pose, soit dit en passant, le problème de l’organisation de recherches que rien ne coordonne). On comprend moins bien que, sans même parler de son texte, sa bibliographie n’ait pas été mise à jour depuis, ce qui amoindrit la valeur scientifique de l’ouvrage, en dépit de la présence de dix planches hors-texte et de divers index. Du moins l’auteur fait-elle preuve d’une sage prudence quant à la portée véritable des instructions officielles et à l’influence réelle des manuels (p. 59).

Décrire le contenu de ces manuels en France et en Allemagne à l’époque considérée est pourtant l’objet majeur du livre. C’est à quoi J. Bauvois-Cauchepin s’attache dans son chapitre III, en comparant le contenu de manuels allemands et français sur six points précis : mythe des origines, Charlemagne (peu aimé des nazis), Moyen Âge, Louis XIV et Frédéric de Prusse (les deux « hommes forts » des monarchies française et prussienne), Luther (donc la Réforme) et 1789 (considérés, chacun dans son pays, comme des moments-clés de l’histoire), guerre franco-allemande de 1870 et guerres mondiales. Ce chapitre apporte nombre d’éléments intéressants sur l’enseignement historique allemand de la première partie du XXe siècle, d’autant qu’il prend souvent appui sur des travaux menés en Allemagne après 1945, qu’il fait ainsi connaître au lecteur français. Les conclusions sont cependant souvent attendues, parfois faciles : la première moitié du XXe siècle apparaît bien comme un temps fort du discours historique nationaliste dans les deux pays, compte tenu du décalage lié aux défaites militaires qui l’ont exacerbé à des moments différents, après 1870 en France, après 1918 en Allemagne ; l’enseignement de l’histoire n’est qu’une entreprise de conformation idéologique dans les régimes autoritaires et totalitaires tels que le IIIe Reich, l’État français de Vichy, la R.D.A (on s’en doutait un peu) ; et l’exécration se substitue parfois à l’analyse, particulièrement quand il est question des manuels nazis (« délire », « amalgame décousu », etc.) : même légitime, l’indignation n’est pas un savoir. La « violence verbale instillée dans les manuels scolaires » national-socialistes, dont il est affirmé qu’elle « préparait et annonçait » les crimes perpétrés par le régime (p. 283), aurait mérité de faire l’objet d’une analyse prenant en compte sa rhétorique propre, outre son contenu.

Par ailleurs, en dépit de la périodisation adoptée, qui souligne la « volonté de renouvellement de l’enseignement historique » de la République de Weimar, bien des éléments relevés par J. Bauvois-Cauchepin militent pour l’idée d’une continuité de cet enseignement dans l’entre-deux-guerres, comme par exemple l’hostilité des professeurs d’histoire de l’époque de Weimar au régime et le fait que les nazis n’aient pas ressenti le besoin de mener d’épuration parmi eux (hors l’épuration raciale, bien entendu) après avoir pris le pouvoir (pp. 94-100) ; ou encore la présence, dans des manuels d’avant 1933, de mentions de la « race indo-germanique » (p. 155), ou de représentations du territoire allemand auxquelles « les nazis n’eurent pas grand-chose à ajouter » (pp. 259-260), etc. En d’autres termes, le « délire » nazi ne sortait pas du néant… J. Bauvois-Cauchepin le reconnaît d’ailleurs à la fin, lorsqu’elle identifie les années 1930, « dès avant le nazisme », comme un des « moments particuliers de crispation identitaire » en Allemagne (p. 281). Ainsi, le lien qu’elle semble parfois établir entre nature du régime politique et « mythologisation » de l’histoire enseignée est peut-être moins univoque qu’elle ne le dit.

Si on la suit volontiers lorsqu’elle évoque, en conclusion de ce chapitre, les diverses fonctions de l’histoire scolaire de la nation (« histoire de soi », histoire collective, leçon de morale, destin d’un territoire, etc.) et la complexité de son élaboration (pp. 271-284), les considérations finales laissent perplexe puisqu’elles reconnaissent à l’enseignement historique la possibilité d’une « distanciation » par rapport au mythe national, grâce aux conceptions « humanistes » de l’instruction – conceptions humanistes dont il ne nous est pas dit grand-chose sinon qu’elles se situent du côté de l’individuel, de la raison et de la logique (pp. 292-293). Passons sur les raccourcis historiques vertigineux (les encyclopédistes mis dans le même sac que Richelieu et Colbert !) que nous vaut cette incursion dans la « philosophie de l’instruction », mais le moins qu’on puisse dire est que l’optimisme de cette conclusion générale n’a guère été documenté par le reste du volume (sans doute fallait-il laisser au lecteur historien, enseignant ou chercheur, une lueur d’espoir après ce sombre exposé des méfaits de sa discipline). Pouvait-il en être autrement dans une étude définissant l’histoire scolaire uniquement comme lieu de manifestation du « mythe national » ? L’étroitesse de sa problématique de départ semble avoir empêché la recherche de J. Bauvois-Cauchepin de porter tous ses fruits, en dépit de la somme de connaissances déployée.

Notes

1. Par exemple, les petites classes des lycées du XIXe et de la première moitié du XXe siècle n’étaient pas des classes « primaires » (p. 132), primaire et secondaire constituant à l’époque deux ordres d’enseignement différents et non pas deux degrés d’un même système ; ou encore, « le fait de débuter les programmes du 6e[…] avec les Égyptiens et non plus avec Adam et Éve » ne date pas de 1890 (p. 163) mais de 1880, etc.

2. On songe ici aux ouvrages sur l’enseignement de l’histoire en France de Brigitte Dancel : Enseigner l’histoire à l’école primaire de la IIIe République, Paris, PUF, 1996 ; d’Évelyne Hery : Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au lycée, 1870-1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999 ; et de Philippe Marchand : L’histoire et la géographie dans l’enseignement secondaire. Textes officiels. Tome 1 : 1795-1914, Paris, INRP, 2000.

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Enseigner l’histoire dans le secondaire. Manuels et enseignement depuis 1902 – LUCAS (HE)

LUCAS, Nicole. Enseigner l’histoire dans le secondaire. Manuels et enseignement depuis 1902. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2001. 319 p. Resenha de: BRUTER, Annie. Histoire de l’Education. v.97, p.150-151, 2003.

Ce livre issu d’une thèse se fonde sur une enquête menée par questionnaires et interviews auprès d’élèves et d’enseignants d’histoire de l’académie de Rennes, ainsi que sur l’examen d’un échantillon de manuels pour cette matière dont la date de parution s’échelonne, comme annoncé dans le titre, de 1902 à nos jours. Le plan fait successivement parcourir une présentation du corpus, à vrai dire assez imprécise ; une sorte d’historique de l’enseignement de l’histoire et de ses manuels au XXe siècle ; une enquête sur la vision contemporaine du manuel, notamment de la part des élèves et enseignants de l’académie susdite ; une longue analyse des couvertures et du paratexte (le terme lui-même n’est pas employé) de divers manuels au cours du siècle ; et un chapitre final sur la façon dont ces ouvrages traitent de divers personnages historiques. L’idée de replacer l’étude des manuels d’histoire récents ou contemporains dans une plus longue durée était louable. Il est regrettable, néanmoins, qu’un ouvrage à visée historique se permette de ne pas indiquer précisément ses sources (il renvoie pour cela à la consultation de la thèse), d’autant que le corpus étudié est à géométrie variable selon les chapitres, la bibliographie proposée très sommaire et les références de bas de page souvent approximatives. Autre regret, l’indifférence totale aux manuels des autres disciplines, sur lesquels les travaux ne manquent pourtant pas : les manuels d’histoire ne sont quand même pas les seuls à s’être transformés au cours du siècle ! On aurait souhaité aussi plus de clarté dans l’exposé, et des conclusions plus neuves, allant au-delà de la description célébratrice.

Annie Bruter

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