L’histoire brisée. La Rome antique et l’Occident moderne – SCHIAVONE (CC)

SCHIAVONE, Aldo. L’histoire brisée. La Rome antique et l’Occident moderne. Paris: Belin, 2003 (édition originale: 1996), 287p. BASCHET, Jérôme. La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique.  Paris: Aubier, 2004. 565p. pages. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.4, p.303-305, 2004.

L’enseignement de l’histoire se doit de tenir compte de l’évolution de la recherche et des nouveaux travaux des historiens. Il est même souhaitable que, d’une manière générale, il sache se fonder sur les œuvres de ces historiens, même les plus récentes, et en présenter la substance.

Depuis que l’histoire est enseignée, sa présentation repose invariablement sur les quatre ou cinq « grandes vieilles » de la périodisation, la Préhistoire, selon les cas, puis la succession de l’Antiquité, du Moyen Age, des Temps modernes et de l’Epoque contemporaine. Cette construction est souvent donnée à voir comme une évidence linéaire et l’histoire enseignée n’a guère l’habitude de la discuter ou d’en montrer l’origine. Deux ouvrages récents nous permettent pourtant, aujourd’hui, d’engager d’utiles réflexions sur cette thématique.

Dans L’histoire brisée, Aldo Schiavone repose la question du déclin de la civilisation antique et de son lien réel avec la modernité. Pourquoi cette civilisation a-t-elle dû s’éteindre et tomber ainsi en ruines? Pourquoi la civilisation moderne a-t-elle dû s’affirmer en se référant à l’Antiquité? Et surtout, cette référence “continuiste” était elle vraiment pertinente? En réalité, l’analyse précise de cette civilisation antique, romaine en particulier, mène l’auteur à mettre en évidence le fait qu’elle était fort différente des représentations que l’on s’en est faites beaucoup plus tard. Il souligne en particulier que les classes dominantes de ce tempslà, celles qui nous ont produit l’essentiel des traces qui ont rendu possible le travail historique, vivaient dans un sentiment de bien-être qui était dépourvu de toute aspiration à améliorer leur sort, ce qui découlait de la perception des limites indépassables du monde. Cela étant, nous dit Schiavone, « si la civilisation gréco-romaine, a pu se laisser si durablement enfermer par les modernes dans un modèle de perfection coupé des réalités de la vie, si nous en avons conservé si longtemps cette vision selon laquelle la politique, les savoirs, les passions, les caractères, les arts, les institutions semblaient se cristalliser dans le vide d’un pur jeu de formes, si cette culture continue à donner d’elle la représentation enchantée d’une perfection stylistique suspendue en dehors de l’histoire », c’est là un « isolement trompeur». En effet, il y avait alors « une sorte d’espace mort de la civilisation humaine », il y avait « un trou noir de la vie collective » constitué par la vie matérielle et productive.

De fait, ces élites des temps anciens n’avaient pas de pensée économique et Cicéron ne manquait pas de mépriser « les gains de tous les salariés dont c’est la peine et non pas l’habileté qu’on paie». Mais ce continent caché, pas même doté d’une terminologie dans les langues grecque et latine, ne pouvait l’être qu’au prix de la servitude du plus grand nombre. Le prestige de la civilisation dépendait de l’esclavagisme, c’està-dire de la multitude de ceux qui devaient travailler, le plus souvent dans des conditions épouvantables. De leur côté, les savants de l’Antiquité n’ont jamais cherché à remédier à cette situation, ils n’ont pas inventé de machines, ils n’étaient surtout en quête d’aucune utilité matérielle et immédiate au bout de leurs réflexions. Dans un récit de Plutarque, on voit par exemple Archimède céder exceptionnellement à son refus de la concrétisation de ses plans parce que sa ville de Syracuse était assiégée et que ses machines pouvaient lancer des projectiles et repousser les navires ennemis.

L’idée moderne d’un retour à l’époque classique était donc une affaire de représentations. C’était la quête d’une supériorité supposée, mais qui reposait sur d’autres bases, ou sur un malentendu. « La révolution de la modernité européenne a été avant tout la suppression de la limite: non seulement des obstacles qui avaient bloqué la civilisation antique, mais de la nature même de la limite comme barrière infranchissable, de la cyclicité comme destin ». La référence à l’Antiquité n’était donc que partielle, elle se jouait des limites au niveau de l’espace comme à celui du temps et de l’horizon d’attente, elle s’accompagnait de l’émergence d’une véritable pensée économique. La croissance et la mondialisation n’ont pas été inspirées par le passé antique.

« Nous savons aujourd’hui ce qui allait advenir, quelle catastrophe s’apprêtait à dévorer ce monde », note Schiavone au début de son étude. Or, sa réflexion sur la réalité des liens entre les anciens et les modernes reste discrète sur l’époque médiévale. Alors qu’un ouvrage du médiéviste Jérôme Baschet renverse justement la perspective et nous propose une thèse audacieuse: c’est dans la civilisation féodale et son prolongement au cours de l’époque moderne que se trouve la source de cette dynamique occidentale qui a fait conquérir, dominer et souffrir le Nouveau Monde en y transportant une bonne part de son univers mental. C’est la féodalité qui a fait naître le capitalisme. C’est donc aussi de cette civilisation féodale, et pas seulement de l’Antiquité qu’elle se représentait, que la modernité s’est inspirée, peut-être sans le savoir, ou sans vouloir le savoir.

Le livre de Baschet prolonge un cours universitaire donné à un public mexicain. Dans une première partie, il propose une synthèse chronologique des grandes périodes de cette civilisation féodale européenne, non sans déconstruire au passage quelques stéréotypes inventés par l’historiographie nationale du XIXe siècle comme par exemple une vision dépréciative de la fragmentation féodale ou l’insistance sur une stagnation de cette société que les faits ne confirment pas. Il décrit les obligations réciproques et les rapports de domination qui ont régi le féodalisme. Il montre aussi le rôle de l’Eglise, l’institution dominante de cette société féodale, celle qui lui a donné une perspective d’unité et une dimension impériale. Une seconde partie plus thématique, et très stimulante, met l’accent sur des aspects fondamentaux comme les cadres temporels, la structuration spatiale, les rapports de parenté ou le rôle des images. L’ouvrage est d’ailleurs parsemé d’illustrations, au sens plein du terme, c’est-àdire de documents iconographiques qui concrétisent les affirmations d’un auteur qui est un fin analyste de l’imagerie médiévale.

« Nous sommes des nains posés sur les épaules de géantes, mais nous voyons plus loin qu’eux”. Cette formule de Bernard de Chartres, au XIIe siècle, évoquait très subtilement les penseurs du passé et l’immense héritage qu’ils avaient laissé tout en suggérant, ce qui était particulièrement rare au Moyen Age, que ceux du présent pourraient les dépasser. Les historiens comme Jacques Le Goff ou Jérôme Baschet qui plaident pour l’idée d’un long Moyen Age qui aurait duré jusqu’au XVIIIe, voire au XIXe siècle, s’intéressent notamment à la manière dont les hommes d’alors ont perçu le temps, le passé et son champ d’expérience, l’avenir et son horizon d’attente. Ils font même valoir que de réformes en renaissances, les mouvements d’idées de l’époque dite «moderne» ont prolongé ceux de l’époque médiévale en se prévalant d’un retour au passé, c’est-à-dire d’un retour « à la pureté perdue de la règle originelle ». Ce n’est ainsi qu’au XIXe siècle que l’on évoquera, notamment avec Karl Marx, des révolutions dont la poésie se situerait dans l’avenir, dans un avenir de progrès encore jamais imaginé.

Au cours du Moyen Age, le futur terrestre de l’humanité devait être en principe une répétition de l’expérience passée, « mais l’attente d’un horizon neuf [était] projeté dans l’eschatologie », c’est-à-dire dans la fin du monde, au Jugement dernier. L’existence de cet horizon d’attente, fût-elle si religieusement connotée, constituait dès lors un fait nouveau eu égard à son absence chez les hommes de l’Antiquité. Parmi beau coup d’autres commentaires, informations et analyses, l’ouvrage de Jérôme Baschet nous aide aussi à mieux percevoir la spécificité de ce que nous projetons aujourd’hui dans l’avenir, des espoirs de progrès, bien sûr, mais également, davantage encore en ce nouveau siècle, l’appréhension d’une régression sociale et intellectuelle déjà observée au cours de l’histoire et malheureusement toujours possible.

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Pistes didactiques et chemins d’historiens. Textes offerts à Henri Moniot – BASQUÈS et al (CC)

BAQUÈS, Marie-Christine; BRUTER, Annie; TUTIAUX-GUILLON, Nicole (Org). Pistes didactiques et chemins d’historiens. Textes offerts à Henri Moniot. Paris, Budapest et Turin: L’Harmattan, 2003. 382p. Resenha de: Charles Heimberg. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.321-322, 2003.

La tradition des « Mélanges » offerts à un chercheur qui part à la retraite débouche souvent sur des volumes très éclectiques. Mais avec Henri Moniot, la diversité des approches, pardessus les frontières, de l’histoire occultée de l’Afrique à la question récemment soulevée de la didactique de l’histoire, ne fait que refléter la richesse et l’originalité d’un parcours scientifique hors du commun.

Parmi les nombreux thèmes évoqués dans ce volume, il en est qui interrogent la différence et son occultation. Ainsi la visibilité des femmes dans l’histoire enseignée est-elle évoquée pour ses limites. Annie Rouquier regrette à juste titre une réduction régulière de leur place dans les manuels et les programmes français (mais en va-t-il autrement ailleurs?). Autre dimension de la différence, celle du racisme et de la conception ethnique de la nation. Claude Liauzu traite la question de l’ethnocentrisme des savoirs universitaires, qui sont nés avec la modernité et l’émergence de l’État nation, et s’interroge sur l’opacité des ressorts profonds du racisme, ainsi que sur les points communs du racisme colonial, de la xénophobie et de l’antisémitisme, autant de manières problématiques de gérer le rapport à Catherine Coquery-Vidrovitch s’interroge sur les liens inavoués entre histoire et propagande. Les faussaires de l’histoire sont certes identifiables, mais le rapport entre histoire engagée, dans le bon sens du terme, et parti pris idéologique est plus complexe. En principe, c’est l’apport de la connaissance qui devrait distinguer l’histoire de ses usages pervertis. Mais la nature même d’une science sociale ne permet pas de régler complètement la question. D’où l’intérêt, par exemple, des Subaltern Studies, ces études d’historiens de pays anciennement colonisés qui tentent de redonner une certaine pluralité à leur discipline.

Il n’est pas possible de rendre compte brièvement ici de toutes les contributions de ce volume. Notons toutefois la présence d’une série d’auteurs polonais, ce qui témoigne des réseaux de réflexion et de recherche comparée qu’Henri Moniot a su tisser au cours de sa carrière.

La question de l’enseignement de l’histoire est au centre d’un grand nombre de textes. Par exemple, les tentatives internationales de réécrire l’histoire dans un sens pacifique, favorable à l’entente entre les peuples, qui ont été impulsées au cours de l’entre-deuxguerres par le Bureau International de l’Éducation de Genève sont analysées par Maria Cristina Giuntella. Le bilan qu’elle en dresse n’est pas brillant, mais il est intéressant de constater que le débat se déroulait alors entre les tenants d’une approche éducative et morale de l’histoire enseignée et ceux qui tenaient à transmettre les connaissances spécifiques de la discipline, un débat qui n’est toujours pas épuisé aujourd’hui. De son côté, Anne Morelli relate la période où la Belgique a connu un enseignement rénové de l’histoire, un programme problématisé et susceptible de favoriser les activités des élèves qui a été généralisé à la fin des années soixante,puis supprimé par un ministre conservateur au début des années quatre-vingt. Encore une fois, ce cas nous montre l’inscription dans la longue durée de certains débats fondamentaux sur l’enseignement de l’histoire. Les propos de Christian Laville sont encore plus inquiets pour la période récente. Il note en effet une certaine tendance, dans bien des pays, à vouloir revenir à un récit fermé destiné à « mouler les consciences ». La dimension civique de l’enseignement de l’histoire devrait pourtant nous mener à aller dans le sens du développement d’un sens critique. Sur le même thème, François Audigier appelle de ses vœux un développement des réflexions et des recherches en didactique pour que l’on sache mieux quels récits communs sont à construire et ce que les élèves s’approprient vraiment en termes de citoyenneté et de sens critique.

Nicole Tutiaux-Guillon insiste à juste titre sur la valorisation de l’adhésion et la prédominance d’une histoire scolaire, en France, qui prétend dire la réalité du monde en évitant de laisser planer le doute et les incertitudes. Enfin, les deux dernières contributions de l’ouvrage, dues à Théodora Cavoura et Nicole Lautier, portent sur la pensée historique, notamment autour du raisonnement analogique. Mais comment passe-t-on de l’analogie spontanée à l’analogie scientifiquement raisonnée? Selon quels critères peut-on sortir du sens commun et entrer réellement dans une pensée historique? C’est tout le problème de la pensée et de la conscience historiques qu’affronte désormais la recherche didactique pour développer une construction lucide de l’histoire scolaire par ses acteurs.

Ce volume, décidément, est d’une très grande richesse!

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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La terra abitata dagli uomini – BRUSA et al (CC)

BRUSA, Antonio; BRUSA,  Anna; CECALUPO, Marco. La terra abitata dagli uomini. Bari, Irrsae Puglia: Progedit, 2000, 205p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.326, 2003.

Cet ouvrage traite de l’histoire enseignée sous l’angle de l’éducation interculturelle. La réalité du fait migratoire dans les écoles italiennes est relativement récente et n’a pas manqué de provoquer une large réflexion du monde de l’éducation sur la manière de s’adresser à tous les élèves qui sont désormais présents dans les classes. Mais le rôle de l’histoire scolaire pour les processus interculturels, dans un premier temps, est demeuré occulté. Dans son introduction, Antonio Brusa explique en quoi il est pourtant essentiel, et évoque ce qui a été fait depuis lors en la matière. L’ajout de nouvelles thématiques dans les programmes a d’abord provoque une telle surcharge qu’il a bien fallu se résigner à repenser l’ ensembre du curriculum. La réflexions est malheureusement déroulée em dehors des structures universitaires, mais elle a permis de remettre enfin en cause un récit linéaire et seulement européen de l’histoire humaine. De fait, le dépassement d’une histoire ethnocentrique et le développement d’une histoire qui tienne bien compte de la dimension mondiale sont équivalents, dans le domaine de l’histoire, à ce que représente l’antiracisme dans l’espace public.

Le schéma traditionnel et linéaire de l’histoire ne comprend aucune donnée spatiale, il se déroule à partir d’un lieu donné sans prendre suffisamment en considération des tableaux synchroniques du monde, sans interroger l’altérité dans la contemporanéité. En outre, ce grand récit pourrait être repensé autour des trois modèles d’organisation sociale que séparent les deux grands changements ayant marqué l’histoire de l’humanité, la révolution néolithique et l’industrialisation. La reconstruction de l’histoire enseignée par des synthèses globales et des récits qui les donnent à voir permet aussi de faire construire une grammaire de l’histoire et d’exercer des activités dans ce sens. Une typologie des exercices que l’on peut développer en classe d’histoire est ainsi proposée. De même que des exemples de jeux de rôles ou de simulation qui permettent aux élèves de construire des connaissances d’histoire sur des thèmes très variés.

Ce volume, avec les nombreux exemples didactiques qu’il présente, concerne avant tout la scolarité obligatoire, soit l’enseignement primaire et l’école moyenne. Sa dernière partie suggère toute une série d’activités scolaires qui peuvent être développées dans le cadre du « laboratoire d’histoire ». Il dégage ainsi de nouvelles perspectives pour l’histoire enseignée qui sont vraiment très stimulantes.

Charles Heimberg –  Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Éducation à la santé. XIXe-XXe siècle – NOURISSON (CC)

NOURISSON, Didier. Éducation à la santé. XIXe-XXe siècle. Rennes: Éditions de l’École nationale de la Santé publique, 2002. 158p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.327, 2003.

Ce volume rassemble des conférences qui ont été prononcées à l’IUFM de Saint-Étienne entre 1995 et 1997. Elles portent sur l’émergence de la santé publique dans le projet éducatif et les pratiques scolaires. Les concepts de santé publique sont nés au fil des deux hygiénismes qui ont successivement prévalu de la fin du XVIIIe siècle à 1870, puis de 1880 à 1940. C’est dans ce contexte que la propreté de l’enfant est devenue une exigence et a même fait l’objet d’un contrôle social. La leçon d’hygiène est ainsi apparue dans les écoles dans une perspective qu’on devine particulièrement normative. Cette propagande pour l’hygiène et la santé a bien sûr recouru aux images, affiches publicitaires, et plus tard à la magie des films. Dans les écoles, l’apparition de l’éducation physique est intervenue dans une perspective de promotion de la santé, comme cela a aussi été le cas avec la natation (on peut toutefois se demander si le facteur militaire, pour les garçons, ne jouait pas aussi un rôle important). Au tournant des XIXe-XXe siècle, l’enseignement antialcoolique à l’école était prescriptif, et souvent caricatural, mais il ne s’est pas révélé très efficace. Voilà de quoi nourrir une réflexion sur l’école d’aujourd’hui, son rôle effectif et la manière de répondre aux diverses injonctions, aux demandes sociales multiplex et Nouvelles, dont elle fait encore l’objet en matière d’éducation à la santé.

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Éducation et formation à la citoyenneté. Guide de références – APEIQ (CC)

ASSOCIATION pour l’Éducation Interculturelle du Québec (Dir.). Éducation et formation à la citoyenneté. Guide de références. Montréal: APEIQ, 2002. 193p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.328, 2003.

Ce guide de l’éducation à la citoyenneté, destiné à tous les professionnels de la formation et de l’éducation, a été conçu dans la perspective d’une dimension interculturelle, sans doute particulièrement sensible dans le contexte du Québec. Il comprend quatre volets suivis de la présentation succincte d’ouvrages ou de références consacrés à l’éducation à la citoyenneté, puis d’une série de propositions didactiques. Robert Martineau présente le chapitre le plus convaincant, celui qui interroge la relation entre l’histoire et la dimension civique. Son exposé théorique synthétise très efficacement sa conception de la pensée historique et la nature de l’histoire scolaire qu’il appelle de ses vœux. « La conscience historique, nous dit-il, autorise à penser la réalité en terme de projet, de possibilité de la changer, d’influencer la réalité sociale, d’en contrôler le destin politique ». Sans perspective ni recul, en effet, il n’y a pas de possibilité de rencontrer l’Autre, il n’y a pas de vie sociale envisageable. C’est dans cet esprit que l’histoire et la citoyenneté ne peuvent qu’être associées ; ce qui implique alors qu’il s’agisse bien d’une histoire ouverte à la pluralité des possibles et aux mises en relation à travers le temps. De son côté, l’éducation aux droits de la personne, évoquée par Nicole Pothier, poursuit à la fois des objectifs cognitifs, sur la nature et l’histoire de ces droits, et comportementaux – elle vise par exemple à promouvoir des attitudes de tolérance. Il en va de même avec la reconnaissance des identités, introduite par André Jacob, pour qui l’éducation à la citoyenneté et à la tolérance « constitue les deux faces d’une même pierre d’assise de l’éducation aux droits humains ». Reste pourtant à se demander quel doit être le poids effectif des visées portant sur des attitudes et dans quelle mesure une telle posture est compatible avec l’idée d’une citoyenneté consciente, construite dans um cadre qui ne soit ni prescriptif, ni moralisateur. La participation, enfin, joue un rôle essentiel pour la citoyenneté, pour autant bien sûr qu’elle soit librement consentie et pratiquée. « Guide de références », le sous-titre de cet ouvrage n’est pas abusif. Certes, les activités didactiques qu’il propose, un peu rapidement, ne parviennent pas toujours à concrétiser de manière suffisamment convaincante les réflexions théoriques qui les ont précédées. Mais c’est un instrument très utile pour introduire la question de l’éducation à la citoyenneté et se poser des questions sur sa nature et sa place dans le projet éducatif d’une société démocratique.

Charles Heimberg –  Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Art, histoire et enseignement – BAQUÈS (CC)

BAQUÈS, Marie-Christine. Art, histoire et enseignement. Paris: Hachette et Centre national de documentation pédagogique (CNDP), «Enjeux du Système éducatif », 2001. 160 p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.2, p.281, 2002.

Un tableau, s’il est beau et célèbre, s’il est beau ou célèbre, peut sans doute constituer un élément déclencheur très efficace pour une séquence pédagogique d’histoire, même si l’enseignant aura quelques scrupules à l’analyser dans cette perspective sans posséder de solides connaissances en matière d’histoire de l’art. Mieux encore, il peut même être le vecteur de l’étude d’une époque ou d’une société à partir de son potentiel spécifique d’expression. En outre, l’Ecole publique a entre autres pour fonction de sensibiliser les élèves à l’appréciation des arts visuels, leur faisant construire un certain sens du beau. Dès lors, l’écart entre ce qui est vu et ce qui est perçu (nous voyons beaucoup plus de choses dans une œuvre que nous en percevons réellement), la relation avec les dimensions morale, politique ou sociale de l’œuvre, tout cela ne devrait-il pas être abordé en situation scolaire? Le premier intérêt d’Art, histoire et enseignement, le livre de Marie-Christine Baquès est de clarifier la problématique qui est relative à la place de l’œuvre d’art dans l’enseignement de l’histoire. Pour elle, en effet, l’œuvre d’art « suscite trois types d’interrogations – ce que l’artiste a voulu faire, les conditions de la création et de sa réception (mécènes, rôle de l’Etat, public, diffusion), sa ou ses fonctions – et offre trois entrées – l’œuvre, l’artiste, le contexte. Leur mise en relation est opératoire lorsque l’œuvre d’art devient objet d’enseignement» (page 19). Par ailleurs, l’objet artistique est « devenu terrain de l’historien qui tantôt y cherche une approche de l’imaginaire d’un groupe, tantôt y lit les relations complexes où l’œuvre d’art a pris forme » (page 23).

Travaillant sur les trois fonctions principales – esthétique, documentaire et mémorielle – de l’étude de l’œuvre d’art, l’histoire enseignée l’inscrit ainsi dans sa réalité sociale. En même temps, ce passage par des sources artistiques permet une ouverture vers des aspects souvent marginaux et ignorés des sociétés étudiées, et participe ainsi du renouvellement de l’histoire scolaire. Enfin, il faudrait éviter trois écueils: l’utilisation d’une œuvre comme simple illustration d’un fait, sans la moindre interrogation sur sa nature artistique ; l’analyse de l’œuvre sans aucune référence à l’esthétique et à sa dimension affective ; enfin, une approche patrimoniale qui confinerait l’œuvre à une fonction de point de repères.

Cet ouvrage, d’une écriture claire et accessible, propose encore quelques ébauches de séquences pédagogiques autour d’autant de tableaux. Il est un peu le reflet d’une situation dominante qui privilégie la seule peinture parmi les arts visuels à enseigner en relation avec l’histoire. Ce qui le mène ainsi à ignorer d’autres formes artistiques comme la sculpture ou la photographie. On pourrait aussi souhaiter le prolonger par des séquences pédagogiques centrées sur des comparaisons qui donneraient à voir la diversité et l’évolution possibles de l’expression artistique. Cela dit, il constitue un apport très stimulant et une belle incitation à associer utilement, dans un esprit d’ouverture, l’œuvre picturale et l’étude de l’histoire.

Charles Heimberg Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Historien, acteur du rapprochement judéo-chrétien – KASPI; ISAAC (CC)

KASPI, André; ISAAC, Jules. Historien, acteur du rapprochement judéo-chrétien. Paris: Plon, 258p. Resenha de: HEIMBERB, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.2, p.283-284, 2002.

On connaît surtout la figure de Jules Isaac pour la fameuse série dite « Malet-Isaac » de manuels d’histoire. Une récente biographie d’André Kaspi nous permet aujourd’hui de mieux prendre la mesure de la très grande richesse du parcours de cet historien et citoyen. En réalité, c’est un peu par hasard, et pour arrondir des fins de mois alors difficiles, que Jules Isaac, historien agrégé et collaborateur occasionnel des Cahiers de la Quinzaine, se lança d’abord dans des adaptations des manuels qui avaient été écrits par Albert Malet. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il a d’ailleurs très peu connu celui avec En prenant la responsabilité de leur refonte, Jules Isaac introduisit dans ces manuels, au fil de son récit historique, des documents authentiques, qui exprimaient parfois des points de vue différents, pour aider les élèves à construire leur esprit critique. Il exprima aussi quelques intentions ou points de vue louables, et fort modernes, comme celui-ci: « la vérité historique n’a pas de patrie, ne porte pas d’écharpe tricolore » (cité en page 93). Son œuvre, à nouveau remise sur le métier à partir de 1937, joua d’ailleurs un rôle de vecteur de l’innovation pédagogique. Les rapports que laissa le désormais inspecteur général montrèrent par ailleurs qu’il appelait de ses vœux un usage distancié de ce manuel conçu comme un instrument de travail au service des activités des élèves. Et même si cette immense entreprise pédagogique restait fille d’un temps où l’enseignement ne s’adressait qu’à une partie limitée des enfants de la République, elle n’en demeure pas moins d’une grande valeur documentaire tant pour l’histoire de l’éducation que pour nos réflexions d’aujourd’hui sur l’histoire enseignée.

D’autres aspects, et non des moindres, de la vie publique et privée de Jules Isaac sont encore abordés dans cette biographie. Ses recherches d’histoire, par exemple, portèrent beaucoup sur des thèmes qui n’étaient pas sans lien avec sa propre vie. Ainsi, au cours de l’entre-deuxguerres, l’ancien combattant Isaac s’occupa-til beaucoup de l’histoire de la Première Guerre mondiale, et s’engagea-t-il de manière originale dans le débat sur les responsabilités, rejetant l’idée facile de les faire porter aux seuls Empires centraux. Mais surtout, alors que l’historien s’interrogeait sur les racines profondes de l’antisémitisme et qu’il préparait une étude à ce sujet, au cœur des drames de la Seconde Guerre mondiale, il échappa de peu à des rafles qui coûtèrent la vie à ses proches, sa femme Laure et sa fille Juliette, juste parce qu’elles s’appelaient Isaac.

Dès lors, comment survivre au désastre? Jules Isaac survécut notamment par ses travaux érudits sur l’antisémitisme, Jésus et Israël et Genèse de l’antisémitisme (qui a récemment été réédité dans la collection 10/18), par sa dénonciation systématique du terrible décalage entre les textes bibliques et l’enseignement chrétien comme source de l’antisémitisme et par son engagement, à la fin de sa vie, pour un rapprochement entre judaïsme et christianisme.

Dans sa thèse sur l’histoire de l’enseignement de l’histoire dans les lycées, Evelyne Hery évoque elle aussi à plusieurs reprises la figure de Jules Isaac et le caractère novateur, pour l’époque au cours de laquelle il a exercé la fonction d’inspecteur général, de ses propositions. Par ailleurs, nous l’avons vu, la vie de cet historien a été marquée par des drames personnels et toute une série d’engagements. Cela dit, André Kaspi insiste avec force, dans la conclusion de cette fort belle biographie, sur le fait que, décidément, Jules Isaac reste à ses yeux parfaitement inclassable…

Charles HeimbergInstitut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Insegnare storia. Riflessioni a margine di un’esperienza di formazione – BALDOCCHI et al (CC)

BALDOCCHI, Umberto; BUCCIARELLI, Stefano; SODI, Stefano (a cura di). Insegnare storia. Riflessioni a margine di un’esperienza di formazione. Pise: Edizioni ETS, 2002. 278p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.2, p.288-290, 2002.

Enseigner l’histoire, tel est le thème de cet ouvrage collectif qui émane des activités de formation des maîtres des Ecoles de spécialisation de l’enseignement secondaire (les SSIS, selon les initiales de leur dénomination italienne) de la région toscane (soit les antennes de Florence, de Sienne et de Pise). A travers de courtes mais riches contributions – beaucoup ont été rédigées par les trois coordinateurs du livre, mais leurs réflexions sont encore prolongées par de nombreuses interventions ponctuelles de chercheurs universitaires ou de spécialistes de questions particulières – c’est un véritable tour de la question, une évocation systématique, mais synthétique, des problèmes posés par la formation didactique en histoire qui est proposé aux lecteurs.

Ce regard italien sur la formation professionnelle des maîtres d’histoire de l’enseignement secondaire est évidemment inscrit dans un contexte particulier qui exerce largement son influence sur la problématique qui est décrite. Mais cela donne d’autant plus de sens, au-delà des différences culturelles, et malgré un cadre institutionnel fort différent, à toute une série de points communs, de difficultés partagées ou d’interrogations de nature analogue qui peuventêtre identifiées au fil de ces pages. Notamment au fait que, dans l’enseignement secondaire, ceux qui enseignent l’histoire enseignent aussi d’autres disciplines qui prennent souvent plus de place dans les esprits, ce qui ne les pousse pas spontanément à affronter la complexité réelle de l’enseignement de cette discipline.

Les grands chapitres proposés évoquent tour à tour les dimensions spatiales de l’histoire enseignée, sa programmation annuelle, les problèmes posés par les manuels scolaires, l’usage didactique des sources, celui des instruments électroniques de communication et les dimensions culturelles de l’histoire enseignée. Des questions aussi fondamentales que l’utilisation des sources orales, les réflexions sur l’historiographie et son histoire, ou l’éducation à la citoyenneté, font par ailleurs l’objet de développements particuliers.

Quelques options fortes de ce recueil d’articles méritent d’être soulignées en tant que telles, mais aussi parce qu’elles font largement écho à nos réflexions suisses-romandes ou francophones. Ainsi Mauro Ronzani insiste-t-il avec raison sur l’intérêt d’un usage didactique direct de sources historiques. Et Gaetano Greco sur l’intérêt d’une prise en considération de l’histoire de l’histoire, tout comme de celle de l’enseignement de l’histoire, pour la formation initiale des maîtres. Les pages sur la dimension spatiale de l’histoire enseignée plaident pour une pluralité de ces échelles en montrant surtout la nécessité d’éviter des trous noirs (l’absence de toute dimension régionale, celle de toute perspective extra-européenne, etc.). Et si Umberto Baldocchi insiste sur la nécessité de développer une véritable histoire européenne, ou même pan-européenne, les auteurs insistent tous sur la nécessité de concevoir une histoire globale qui sache concilier le particulier et le général en faisant interagir les différentes échelles considérées.

L’enseignant d’histoire est de plus en plus confronté à la nécessité de programmer son enseignement en fonction d’un certain nombre de critères, finalités et consignes. La recherche italienne en matière de didactique de l’histoire a développé la perspective de programmation modulaire de l’histoire enseignée. Ainsi un module, unité d’enseignement-apprentissage qui traite d’une manière globale un thème d’histoire dans un contexte donné, peut-il comprendre plusieurs unités didactiques et durer jusqu’à deux ou trois mois. S’il s’agit bien par-là de rompre avec une histoire narrative, linéaire et encyclopédique, ce n’est pas pour autant un renversement de l’histoire enseignée ne privilégiant que l’entrée thématique et conceptuelle. De fait, notamment parce que la dimension diachronique et temporelle ne doit pas être évacuée, beaucoup d’enseignants pratiquent déjà sans le revendiquer, ni parfois le savoir, un enseignement-apprentissage de l’histoire qui va dans le sens de cette vision modulaire.

La question des manuels scolaires est évidemment significative. Du point de vue historique, il est fait mention d’une enquête d’Antonio Brusa montrant qu’au cours des années soixante, les manuels italiens étaient passés d’une fonction strictement narrative, l’enseignant devant raconter l’histoire avec le manuel, à une fonction documentaire, les élèves devant lire eux-mêmes le manuel et apprendre à utiliser un appareil éditorial (titres et sous-titres, glossaires, renvois de pages, etc.) toujours plus complexe. Et Umberto Baldocchi note en particulier que le paradigme romantico-national sur lequel ces manuels étaient basés induisit également, et pendant longtemps, une toute-puissance de la causalité qui empêchait de donner à voir dans l’histoire l’existence d’acteurs tentant librement d’agir sur le cours des événements ; et une conception très simplifiée de cette causalité (d’où le piège de la cause unique, notamment en l’absence de toute vision complexe et systémique des relations internationales dans l’exemple de la Grande Guerre). Cependant, le contenu de ces manuels ne dit pas tout, loin s’en faut, des pratiques réelles en classe. Aussi Stefano Sodi, à partir d’une analyse typologique et critique des manuels disponibles, évoque-t-il de son côté quelques manières dont ils pourraient être utilisés à bon escient.

L’ouvrage comprend des exemples de modules d’enseignement-apprentissage, ainsi que des propositions de sources pouvant faire l’objet d’unités didactiques. Dans une section consacrée à l’enseignement de l’historiographie, et à propos de l’origine du capitalisme, Alberta Patacchini développe en particulier la manière dont les élèves pourraient être amenés à comparer, en les schématisant, des points de vue différents sur tel ou tel phénomène historique. Enfin, la question des images, qui peuvent être à la fois des documents d’histoire et des supports pour la raconter, est traitée par Luca Baldassira qui insiste à juste titre sur les problèmes nouveaux qu’elles posent à la notion de vérité en histoire.

La dernière section de l’ouvrage regroupe deux thèmes tout à fait essentiels, mais sous l’étrange intitulé commun de dimension culturelle de l’histoire enseignée. Ainsi l’intérêt d’une histoire des genres, et pas seulement d’une histoire des femmes, comme prise en compte des interactions sociales liées aux sexes dans toute société humaine est-il notamment défendu avec pertinence par Simonetta Soldani. Alors que les débats italiens sur l’éducation civique sont également évoqués.

Plusieurs auteurs font allusion à des faits d’actualité qui ont marqué l’histoire scolaire italienne de ces dernières années: la volonté – absolument indéfendable dans une démocratie digne de ce nom – de certaines instances politiques de pratiquer une censure sur les manuels d’histoire pour décider elles-mêmes de leur contenu, surtout en matière d’histoire contemporaine ; le décret ministériel qui renforça il y a quelques années l’enseignement de l’histoire du XXe siècle en prévoyant de lui consacrer la dernière année de chaque cycle de formation ; le projet de nouveau curriculum de l’histoire enseignée, rejeté en fin de compte par le nouveau gouvernement, qui prévoyait de ne plus répéter à plusieurs reprises un enseignement chronologique de l’histoire et fit l’objet de réactions très contrastées parmi les historiens (voir les deux pétitions publiées dans le n° 1 du cartable de Clio, ainsi que l’article de Luigi Cajani et le projet de curriculum italien dans le présent volume).

Cette vision d’ensemble de l’histoire enseignée et des problèmes qu’elle pose dans une perspective de formation des maîtres, qui est bien sûr trop succinctement présentée ici, est donc des plus intéressante. Peut-être la définition même de l’histoire, c’est-à-dire l’explicitation de son apport spécifique au regard critique sur le monde qui devrait se construire au cours du cursus scolaire aurait-elle pu être développée avec plus de précision. Mais cette question de la nature de la pensée historique en matière d’enseignement-apprentissage devrait sans doute faire l’objet d’un vaste débat international, dans une perspective comparative. Ce à quoi cette très intéressante publication toscane ne pourra que contribuer utilement.

Charles Heimberg – Institut de formation des maîtres (IFMES), Genève.

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Historien, acteur du rapprochement judéo-chrétien – KASPI; ISAAC (CC)

KASPI, André; ISAAC, Jules. Historien, acteur du rapprochement judéo-chrétien. Paris: Plon, 258p. Resenha de: HEIMBERB, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.2, p.283-284, 2002.

On connaît surtout la figure de Jules Isaac pour la fameuse série dite « Malet-Isaac » de manuels d’histoire. Une récente biographie d’André Kaspi nous permet aujourd’hui de mieux prendre la mesure de la très grande richesse du parcours de cet historien et citoyen. En réalité, c’est un peu par hasard, et pour arrondir des fins de mois alors difficiles, que Jules Isaac, historien agrégé et collaborateur occasionnel des Cahiers de la Quinzaine, se lança d’abord dans des adaptations des manuels qui avaient été écrits par Albert Malet. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il a d’ailleurs très peu connu celui avec En prenant la responsabilité de leur refonte, Jules Isaac introduisit dans ces manuels, au fil de son récit historique, des documents authentiques, qui exprimaient parfois des points de vue différents, pour aider les élèves à construire leur esprit critique. Il exprima aussi quelques intentions ou points de vue louables, et fort modernes, comme celui-ci: « la vérité historique n’a pas de patrie, ne porte pas d’écharpe tricolore » (cité en page 93). Son œuvre, à nouveau remise sur le métier à partir de 1937, joua d’ailleurs un rôle de vecteur de l’innovation pédagogique. Les rapports que laissa le désormais inspecteur général montrèrent par ailleurs qu’il appelait de ses vœux un usage distancié de ce manuel conçu comme un instrument de travail au service des activités des élèves. Et même si cette immense entreprise pédagogique restait fille d’un temps où l’enseignement ne s’adressait qu’à une partie limitée des enfants de la République, elle n’en demeure pas moins d’une grande valeur documentaire tant pour l’histoire de l’éducation que pour nos réflexions d’aujourd’hui sur l’histoire enseignée.

D’autres aspects, et non des moindres, de la vie publique et privée de Jules Isaac sont encore abordés dans cette biographie. Ses recherches d’histoire, par exemple, portèrent beaucoup sur des thèmes qui n’étaient pas sans lien avec sa propre vie. Ainsi, au cours de l’entre-deuxguerres, l’ancien combattant Isaac s’occupa-til beaucoup de l’histoire de la Première Guerre mondiale, et s’engagea-t-il de manière originale dans le débat sur les responsabilités, rejetant l’idée facile de les faire porter aux seuls Empires centraux. Mais surtout, alors que l’historien s’interrogeait sur les racines profondes de l’antisémitisme et qu’il préparait une étude à ce sujet, au cœur des drames de la Seconde Guerre mondiale, il échappa de peu à des rafles qui coûtèrent la vie à ses proches, sa femme Laure et sa fille Juliette, juste parce qu’elles s’appelaient Isaac.

Dès lors, comment survivre au désastre? Jules Isaac survécut notamment par ses travaux érudits sur l’antisémitisme, Jésus et Israël et Genèse de l’antisémitisme (qui a récemment été réédité dans la collection 10/18), par sa dénonciation systématique du terrible décalage entre les textes bibliques et l’enseignement chrétien comme source de l’antisémitisme et par son engagement, à la fin de sa vie, pour un rapprochement entre judaïsme et christianisme.

Dans sa thèse sur l’histoire de l’enseignement de l’histoire dans les lycées, Evelyne Hery évoque elle aussi à plusieurs reprises la figure de Jules Isaac et le caractère novateur, pour l’époque au cours de laquelle il a exercé la fonction d’inspecteur général, de ses propositions. Par ailleurs, nous l’avons vu, la vie de cet historien a été marquée par des drames personnels et toute une série d’engagements. Cela dit, André Kaspi insiste avec force, dans la conclusion de cette fort belle biographie, sur le fait que, décidément, Jules Isaac reste à ses yeux parfaitement inclassable…

Charles HeimbergInstitut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Insegnare la storia come se i poveri, le donne e i bambini contassero qualcosa – BRAZIER (CC)

BRAZIER, Chris. Insegnare la storia come se i poveri, le donne e i bambini contassero qualcosa, avec la collaboration de Claudio Economi et Antonio Nanni. Turin: Editions Sonda, 2001 (1re éd. or. 1989 ; 1re éd. it. 1992), 240 p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.1, p.217-218, 2001.

Brève histoire du monde, tel est le titre d’un court essai de Chris Brazier dont la traduction en italien constitue l’essentiel de ce petit volume. Paru à l’origine, il y a une douzaine d’années, dans la revue New Internationalist, ce texte constitue une tentative de décloison- ner l’histoire enseignée, de l’ouvrir à une approche plus universelle et plus attentive à toutes les composantes de l’aventure humaine (y compris, comme l’indique le sous-titre, du point de vue des pauvres, des femmes et des enfants).

L’orientation de ce bref récit de l’histoire universelle est clairement annoncée : elle est à la fois écologiste et internationaliste, elle se veut d’abord attentive au point de vue des opprimés et des dominés. En tant que telle, elle est aussi profondément discutable, notamment quand l’auteur remet en question l’idée de progrès en désignant désormais le conservatisme comme correspon- dant à une attitude de préservation de l’avenir de la planète, en termes de développement durable et d’un point de vue écolo- giste. Ce qui revient à liquider, par un ren- versement des points de vue, deux siècles de luttes politiques et sociales pour la démocra- tie et les droits humains (p. 193).

La lecture de cet essai ouvre toutefois des portes sur des mondes ou des domaines trop longtemps ignorés. Par exemple, l’auteur voque le génocide des peuples aborigènes en Australie. Ou les apports si riches, mais tellenent négligés, de la civilisation indienne. Malheureusement, la brièveté de la démarche l’enferme forcément dans une vision par- tielle, à tel point qu’il n’évoque même pas, par exemple, un événement aussi révélateur et symbolique que les massacres coloniaux de Sétif de mai 1945. En fin de compte, nous avons là une version anglo-saxonne de la démarche originale de reconstruction d’un récit historique sans emprise nationale que l’historienne Suzanne Citron a déjà engagée dans l’espace francophone (voir L’histoire des hommes, Paris, Syros, 1996).

Tous les chapitres de cette histoire universelle renouvelée donnent lieu à des proposi- tions de lecture, souvent fort judicieuses, mais qui ne concernent que les publications en italien. Et cette démarche, complétée par une mise au point transalpine portant sur la dernière décennie, est fort intéressante. Elle reste cependant très incomplète. Non seule- ment parce qu’un nombre de pages si limitéempêchait d’embrasser vraiment tous les aspects significatifs de l’histoire humaine. Mais surtout parce que le renouvellement de l’histoire enseignée ne saurait se contenter seulement d’une ouverture thématique – attentive à l’histoire des minorités comme à la diversité des points de vue possibles – dans la mesure où il doit s’interroger également sur la manière de proposer aux élèves la construc- tion d’une véritable pensée historique.

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Comment on enseigne l’histoire à nos enfants – COMELLI (CC)

COMELLI, Dominique. Comment on enseigne l’histoire à nos enfants. Nantes : Librairie L’Atalante – Comme un accordéon, 2001. 109p. Resenha de: HEIMBERG, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.1, p.218-219, 2001.

Ce petit livre, très incisif, sur l’histoire enseignée se lit avec plaisir et intérêt. Il émane d’une enseignante française qui est aussi syndicaliste et se soucie par ailleurs des perceptions des parents d’élèves. Son point de vue est original et ses conclusions, qui nous paraissent pouvoir être largement partagées, partent d’un assez triste constat qui est sans doute, et malheureusement, incontestable : beaucoup trop d’élèves, en effet, s’ennuient au cours d’histoire, et pas seulement dans l’univers de Harry Potter.

Ainsi l’ouvrage propose-t-il une réflexion synthétique, fondée sur une riche expérience personnelle et quelques références bibliographiques fort bien ciblées. En historienne, Dominique Comelli sait aussi inscrire ses observations dans une lente évolution dont elle rappelle les grandes lignes. Evidemment, sa démarche dépend des réalités de la situa- tion française, d’où bien des précisions cri tiques sur la manière dont y sont élaborés les programmes d’histoire. Mais les problèmes qu’elle soulève se posent également en dehors de l’Hexagone.

L’une des questions essentielles qui sont abordées par l’enseignante concerne notam- ment la toute-puissance du roman national, et la volonté officielle de construire une iden- tité nationale à partir de l’histoire enseignée. Cette injonction patrimoniale est-elle vrai- ment indispensable? Et de quel droit s’im- pose-t-elle dans des programmes qui ne sont guère discutés et ne tiennent pas compte des évolutions récentes de l’histoire scientifique ? La domination des activités – et des exi- gences – de mémorisation ne cache-t-elle pas en fin de compte une incapacité de par- tir des préoccupations des élèves pour leur permettre de construire du sens à partir de l’histoire ? Et qu’en est-il, dans le récit linéaire de l’histoire scolaire qui est ainsi induite, de la pluralité des possibles, du poids de l’incertitude, des expériences humaines successives que l’histoire, la vraie, permet de reconstruire?

Que cette histoire enseignée soit ainsi réduite à l’état de « squelette factuel » explique pour une large part cet ennui qui la poursuit. Et la conclusion de Dominique Comelli pourrait figurer en exergue de notre revue tant elle exprime avec pertinence, et en des termes très évocateurs, ce qui est l’enjeu principal du renouvellement de cette discipline scolaire :

« C’est vrai, toutes ces démarches prennent du temps.

Mais pourquoi vouloir tout faire, tout dire ? Ne vaut-il pas mieux choisir des moments que l’on approfondira ?

Vouloir donner aux élèves une fresque simplifiée du monde et du passé était peut-être un objectif

louable quand les livres étaient rares et chers et quand les enfants, une fois l’école quittée, avaient peu de chances d’enrichir leurs connais- sances. Mais ce n’est plus le cas maintenant. Mieux vaut avoir le mode d’emploi de l’his- toire pour pouvoir l’écrire à son tour. »

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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